Réflexions | Les Infrastructures réseaux face aux aléas climatiques
Aujourd’hui, la question n’est plus de savoir si les changements climatiques actuels ou à venir vont impacter les réseaux électriques et de télécommunications. Ils les impactent et vont les impacter de plus en plus. Comment appréhender alors cette problématique qui englobe à la fois technique, physique et conditions météorologiques ?
Avec leurs vents tempétueux Domingos et Ciaran ont bien mis à mal les réseaux en novembre 2023. Voyons comment minorer au maximum les impacts sur les infrastructures, avec ces phénomènes qui -malheureusement- deviennent fréquents.
Vous me connaissez désormais, d’abord un bref rappel des lois physiques qui s’appliquent.
Les lois physiques :
Les caractéristiques d’une liaison aérienne entre deux poteaux qui supportent un câble aérien sont :
👉 La portée L, qui est la distance entre les deux poteaux
👉 La flèche F du câble, qui est la hauteur entre le point bas du câble, au milieu de la portée, et le point d’ancrage, au niveau des poteaux.
👉 La tension T, qui s’exerce sur le câble à partir de son ancrage sur le poteau.
👉 Et enfin le poids apparent W du câble, sur la distance considérée (= entre les 2 poteaux).
L’équation mathématique qui régit la position du câble entre les deux poteaux est en théorie une courbe de type cosinus hyperbolique. Qui, lorsque la flèche est inférieure à au-moins 10x la portée, peut-être assimilée à une courbe parabolique.
Considérant la flèche comme étant un pourcentage de la portée, il s’agit alors d’une équation de proportionnalité entre la tension T, le poids apparent W et la portée L.
Nous parlons de poids apparent car les conditions climatiques, dont la présence de vent 🌬 et de glace ☃, sont considéré dans le calcul du poids du câble entre les 2 poteaux. Le vent exerce une pression sur le câble qui induit une charge additionnelle sur les poteaux. De même, la glace augmente le diamètre du câble soumis au vent et l’alourdit.
Les contraintes mécaniques :
De fait, comment réduire alors cette tension qui s’exerce sur le câble, et le poteau ?
🤔 La flèche étant un ratio de la portée, la tension varie linéairement avec la portée et le poids du câble. Et, mécaniquement, quand on réduit la portée et le poids du câble, la tension diminue aussi. Jusque-là, c’est logique 😉.
L’effet induit est que l’infrastructure va mieux supporter les aléas climatiques.
Inversement, quand portée et câble sont déterminés, la réduction de la tension qui s’exerce passe uniquement par une augmentation de la flèche. Or, comme la longueur -donc le poids- augmentent également quand la flèche augmente, nous arrivons en limite d’hypothèse parabolique. Et dans ce cas, mieux vaut passer en calcul réel 🤓
Tout ceci pour revenir à une évidence -voire du bon sens- à mon sens. Mais je me plie toujours avec plaisir à l’exercice d’une vraie démonstration.
Mathématiquement et mécaniquement, la baisse des charges qui doit désormais s’appliquer sur nos poteaux aériens (et sur nos entreprises ? 😋) surchargés de câbles, passe nécessairement par un allégement du poids des câbles, et conjointement, à une diminution de leurs diamètres.
Matériaux de faible densité, câbles plus petits plus légers, moins de CO2, moins de prise au vent, moins coûteux plus vertueux. Rien de mieux pour lutter contre le venteux 🌪.
Les aspects météorologiques :
Mais revenons aux conditions climatiques.
Les incidents météorologiques ont une incidence sur les infrastructures aériennes bien évidement. Et plus spécifiquement, le vent et la glace, car ils induisent une charge supplémentaire sur les câbles et les poteaux.
Les charges de vent et de glace doivent ainsi être incluses dans le calcul du poids apparent du câble, qui est : racine carrée de (poids glace + poids câble)2 + (pression du vent).
Pour anticiper les surcharges sur l’infrastructure, il est donc nécessaire d’avoir une bonne connaissance des paramètres topographiques et climatiques. Données climatiques qui se trouvent en général dans les normes nationales pour les bâtiments et infrastructures.
🇫🇷 En France, un DTU publié par le CSTB définit les règles appelées NV65. Ces NV 65 fixent les valeurs des charges climatiques -neige et vent – et donnent les méthodes d’évaluation des efforts correspondants sur une construction ou sur ses différentes parties.
❄️Côté neige, les modifications de 2008 introduisent dans les NV 65 la cartographie des charges de neige sur le sol en France adoptée dans l’Annexe nationale de l’Eurocode 1 – Partie 1-3 (norme NF EN 1991-1-3/NA). La nouvelle carte « neige » s’appuie sur une étude européenne achevée en juin 1999.
Cette étude européenne présente un double avantage :
👉les données météorologiques recueillies dans les stations étrangères proches du territoire national permettent de compléter la base de données Météo-France. L’apport de cette étude est plus sensible dans les régions alpines et jurassiennes ainsi que dans le Nord-est de la France
👉elle harmonise les choix aux frontières des pays européens.
💨 Côté vent, l’Annexe nationale NF EN 1991-1-4 / NA de l’Eurocode de mars 2008, inclut une nouvelle cartographie fondée sur une nouvelle étude statistique des données météorologiques. Si la cartographie reprend strictement celle de l’Eurocode, les valeurs de la pression dynamique de base « normale » et « extrême » sont issues sans changement des précédentes versions des Règles NV 65 ; elles n’ont donc pas de signification statistique, comme dans l’Eurocode.
De plus, la norme NF C11-201/A1 de décembre 2004, intègre les évolutions de l’arrêté du 17 mai 2001, -issu des tempêtes de 1999- qui fixe les conditions techniques auxquelles doivent se conformer les réseaux de distribution d’énergie électrique, et entre autres les charges de vents 💨 et de température 🌡 à prendre en compte. Il sert de référence aux réseaux télécoms, considéré comme réseau basse tension (BT).
Quant au rapport entre les efforts entraînant la destruction de l’ouvrage et ceux correspondant aux charges dues au vent et à la température est au moins égal à 3.
Alors oui intégrer les contraintes topologiques, topographiques et climatiques est contraignant. Mais au vu du nombre croissant d’aléas, la résilience des réseaux passe clairement par des câbles, des ancrages, des consoles et des poteaux fabriqués avec les meilleurs matériaux et installés dans les règles de l’art. Isn’t ?
Et on retrouve quelques-unes de ces valeurs dans les logiciels métiers COMAP/CAMELIA/CAPFT pour l’évaluation des charges
Aux Etats-Unis, le document technique de référence est la règle 250B du National Electric Safety Code (NESC)) et il définit 3 zones de conditions climatiques Heavy, Medium et Light en associant à la fois températures, épaisseurs de glace et pressions de vent
Comment parer aux aléas mécaniques :
S’il y a bien un moment où les réseaux de télécommunications sont essentiels, c’est lors de catastrophes naturelles.
Malheureusement, qu’ils soient aériens ou enterrés, quand ils doivent faire face aux forces de la Nature, il n’y a pas de solution miracle. Si ce n’est de retarder le plus possible l’arrêt de leur réception/émission en les dimensionnant le mieux possible face aux aléas prévisibles.
Côté transmission, l’évènement physique influe sur les signaux qui se propagent : de la baisse d’intensité du signal reçu jusqu’à son extinction.
Dans le cadre d’une transmission numérique, qui est une succession de 0 et de 1, l’œil de transmission va se fermer car le système ne sait plus distinguer les 0 des 1 ! Dans ce cas précis, le Bit Error Rate (BER) va augmenter et le débit réel de transmission va se dégrader.
Que faire alors ?
Évaluation des risques sur des temps longs :
Les opérateurs d’infrastructure doivent à la fois évaluer les risques sur le service client et trouver un équilibre technico-économique sur le long terme, en anticipant les risques d’aléas climatiques dès la conception des réseaux.
Redondance des réseaux :
Comme tout réseau, notamment routier, l’idéal est d’avoir un itinéraire bis ou une déviation pour qu’en cas de défaillance on puisse « switcher » d’un(e) rout(ag)e à l’autre. Avoir d’autres « routes » ici consistant à avoir d’autres technologies, qui prennent le relais.
Qualité et performance des produits et de l’installation :
Primo, chaque produit pris indépendamment doit être conçus en prenant en compte les différentes contraintes fonctionnelles qui vont s’appliquer. Secundo, il faut travailler les liaisons entre chaque produit et vérifier leur compatibilité dans le temps. Tercio, l’installation à t0 reste cruciale : pas de bons réseaux sans de bons installateurs, formés donc.
Maintenance curative, préventive, prédictive
La maintenance curative, c’est celle de l’urgence, quand les dégâts sont là.
La maintenance préventive, c’est comme la révision de la voiture. On doit la faire régulièrement, en inspectant le réseau avec une fréquence plus ou moins rapprochée selon sa criticité.
La maintenance prédictive, c’est une surveillance de tous les instants du réseau, avec des alertes et des actions immédiates, préalablement planifiées en fonction des phénomènes observés. Cela passe par un système de surveillance permanent qui interprète les phénomènes détectés soit pour faire une levée de doute, soit pour intervenir de manière anticipée sur le réseau sans perturber le service client. Cette surveillance a un coût (+/-5% de l’installation initiale) qu’il faut envisager comme une assurance qui va éviter des pertes d’exploitations souvent bien plus onéreuses…
Bien maintenir un réseau passe donc par un équilibre entre coûts de dégradation, de prévention et de prédiction
La « résistance » à défaut de « résilience » de nos réseaux de télécommunications face aux aléas climatique passe par cet équilibre.
Des questions ou des précisions à ce sujet ?
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